Il ne saurait dire pourquoi il avait accepté de faire cette expédition
ne saurait dire quelle folie l'y avait poussé, lui qui avait arrêté depuis bien des années
(n'en fait presque plus, hormis, de temps à autres, quelques légères pour...
pourquoi ?)
peut-être une envie soudaine, comme ça, celles prises sur un coup de tête que l'on regrette aussitôt pour une raison ou pour une autre

Il ne saurait dire pourquoi il avait accepté
peut-être parce qu'il
((avait tant de choses à se reprocher))
souhaitait se racheter, quelque part, mais au fond n'en avait aucune putain d'idée
(peut-être souhait-il simplement apaiser ses tourments en faisant, au moins une fois, une bonne action
alléger une conscience déjà bien lourde par la disparition de biens des proches qu'on n'a jamais pu sauver)
peut-être une envie de rendre hommage, signifier à ceux qui ne sont plus qu'on ne les oubliera pas
(qu'on fera tout pour ne pas les oublier)
les souvenirs qui remontent, tantôt agréables, tantôt désagréables, mais ne les chasse pas et les laisse simplement défiler dans une nostalgie amère à laquelle il s'est habitué avec le temps
(l’amertume devient alors un bien doux remède à nos maux)

Il avance dans le froid auquel il ne fait pas vraiment attention jusqu'à ces fleurs en contrebas dans une mise en scène macabre ─ se demande quelques instants s'il s'agissait d'un simple hasard de la nature avant d'écarter cette pensée
ta silhouette se dessine mais tu es bien trop loin, d'abord, pour qu'il la discerne ─ trop dans ses pensées, aussi ; continue d'avancer sans y faire trop attention

Puis elle se précise, de plus en plus ─ sa démarche lui semble familière tout comme sa carrure, les traits qui deviennent plus net, aussi, tes cheveux flamboyant qui font bien tâche dans le blanc environnant
et finalement il se fige lorsqu'il te voit enfin ; trop surpris ne dit rien et te dévisage, persuadé d'halluciner, persuadé que tu es un fantôme venu le hanter ; et quand ta voix s'élève pour prononcer son nom ─ ah ! qu'il a bien des sonorités désagréables de ta bouche ─ la surprise laisse place à la colère, à la haine peut-être, la gêne aussi, le mépris sûrement, le dégoût, le remords le regret tant de choses
(contradictoires)
différentes et tout au fond, ténu et timide, la joie de te revoir qu'on étouffe, vestige d'un passé lointain de camaraderie qui n'est maintenant plus qu'un rêve évanescent auquel on a bien du mal à croire qu'il ait un jour été réel

▬ ... Qu'est-ce que tu fais là, Jasper ?

On ne sait pas trop, à vrai dire, comment réagir ─ on sent les poings qui se serrent malgré nous, la mâchoire qui se crispe et la colère latente dans la voix
Il a envie de partir, de faire demi-tour et de chercher ailleurs ces satanés plantes, mais étrangement n'en fait rien
(peut-être, au fond de lui, attend-t-il ces reproches que personne n'avait jamais osé lui faire)
il ne saurait dire pourquoi il avait accepté de faire cette expédition et déjà le regrette amèrement.

En mission.
Évidemment.
À question idiote, réponse idiote.
Putain.
Il se demande par quelle ironie du destin il se trouvait sur ta route ─ peut-être, dans son immense clémence, tentait-il de vous réconcilier, à sa manière
(mais lui n'était pas prêt
la rancune est tenace et la colère aussi intacte qu'au premier jour)

▬ Et tu pouvais pas aller ailleurs, par hasard ? qu'il laisse échapper, un peu malgré lui, tentant  de contenir sa rage grandissante

Enculé, qu'il manque de rajouter, se retenant juste à temps
Pourquoi avait-il fallut que tu reviennes sur sa route ? On avait presque réussi à se reconstruire, presque réussi à avoir un semblant de vie normal, comme si rien avant ne s'était passé, et voilà que tu viens tout faire s'effondrer
(c'est que nos constructions sont fragiles, c'est que le cœur est mal pansé)

Alors il soupire un grand coup pour tenter de se calmer
s'approche de toi
de plus en plus
sans pour autant te regarder
(ta vue l'insupporte, le rend confus)
et soudain vient cueillir l'une des fleurs ─ et pourtant, qu'est-ce qu'on aurait voulu éclater un peu plus nos phalanges amochées par les combats à répétition contre ta sale gueule d'ange, écorcher ton si beau minois avec un peu de notre haine et de notre douleur
(mais il n'en fait rien, te laissant à la place, dans un élan de bonté, la deuxième)
Et le voilà qu'il se recule, s'éloigne de toi, te tournant presque le dos

▬ T'avise pas de me suivre.

Connard, manque-t-il encore de te lancer, encore une fois se retient
(et pourtant que c'est tentant, de le faire)

Il s'en fiche, de trouver d'autres plantes, il veut juste
ne plus te voir
enterrer le passé
faire comme si rien ne s'était passé
et pourtant tu es là et tu nous rappelle bien trop de choses
(c'est douloureux)

A ta provocation il se fige, se retourne vivement
Al, affection autrefois agression maintenant
crissement aux oreilles dissonance insupportable
c'est rageant, Jasper, presque ; parce que tu le connais si bien, tu l'a fréquenté depuis si longtemps
(alors tu sais qu'il est le premier à répondre aux provocations qu'on lui adresse)

Contentement insoutenable de ton piédestal tu oses le juger
Gamin puéril, dis-tu mais qui l'était réellement ?
(de ton côté as-tu vraiment mis tout ça de côté ?)
Il a tout plaqué, Alaric, depuis ce jour-là
ses amis
ses amours
ses rêves
lui-même peut-être
On a arrêté tout ça, Jasper, à la place on avait choisi de se briser les phalanges sur autrui
se souiller de vermeille pour se sentir un peu mieux
Et puis soudain, le sujet de Valerian qui le crispe encore plus
(n'a jamais compris qu'il est la véritable source de tous vos problèmes)

▬ Bah tiens, parce que monsieur est devenu une célébrité, il se sent plus pisser et est obligé de faire la morale ? T'es pathétique, Jasper si tu est si pathétique, qu'est-il, lui qui ose émettre ce jugement ? faut croire que le luxe t'es monté à la tête.

Tu le dégoûte
(il se dégoûte)
Il fait semblant de n'avoir rien entendu quant à ta dernière phrase
(mérites-tu seulement qu'on réponde à ta condescendance ?)
Dans le ciel le danger s'agite et pourtant lui ne le voit pas, bien trop occupé à contenir ses rancœurs
(disparais de sa vue, Jasper
à jamais)

Tout fait pour que tu partes
c'était faux
si faux
comment oses-tu ?
l'énervement qui explose en colère, serre les poings Alaric face à tant de culot
ça fait bien longtemps qu'on n'est pas en phase avec soi-même, ça

▬ Pardon ?! Tu te fous de ma gueule, j'espère, à quel moment tu peux penser que je t'ai incité à partir ? Tu...

Il se fige à la mention de son prénom
il t'observe, ne sachant que penser
(de quel droit osais-tu prononcer son nom, toi qui l'avait tuée ?)
à ta question il s'énerve, encore plus lorsque tu portes la main à ton arme
il le prend mal, Alaric, que tu puisses ainsi penser qu'il oserait faire une telle chose alors qu'il avait mit du temps à s'en remettre
(oser se jouer de ses sentiments pour ensuite laisser entendre que tu le penses responsable d'une mauvais blague qu'il ne comprenait pas, c'était...
non, il n'y avait pas de mot pour qualifier une telle bassesse)

▬ Putain Jasper, t'es vraiment une sale race, me faire croire qu'Ellen est en vie et...

Sa phrase laissée en suspens, encore, une voix bien trop familière entendue au lointain
se retourne, Alaric, pour voir la provenance du son ─ mais rien autour de lui, si ce n'est la neige
il pâlit, Alaric ; quelque chose ne va pas, et il n'aime pas ça du tout

▬ Y'a quelque chose qui cloche, qu'il souffle, mal à l'aise

Les sens en alerte il observe autour de lui, guettant le moindre mouvement suspect
(sans même penser à regarder au-dessus de lui)