Ta respiration est haletante. Tu n'as même pas pris le temps d'enlever ton masque, malgré tes poumons qui demandent tout l'air qu'ils peuvent avoir. Tu rentres de repérage, qui a été écourté de par quelques êtres que tu t'es, encore une fois, refusée à blesser. Enfin rentrée, tu reprends ton souffle. Ton torse te brûle, tes cicatrices te grattent. Tu gardes ton masque pour le moment, et quelques regards se posent sur toi. Sa forme assez inhabituelle,  combinée aux dessins que tu as pu peindre le long du bec, expliquent bien que tu attires l'attention dans l'arche que cela te plaise ou non.

Tu n'as pas envie de rentrer chez toi, tu ne te sens pas d'allumer Lisbet, ton chien, pour la sortir, tu ne te sens pas de revoir les mêmes murs gris de ta chambre, cela te rappelle encore trop bien les moments où cette couleur ne te dérangeait pas, où elle était encore là.Bien que tu ne les ai beaucoup visités, tu te souviens de ta soeur qui te racontait des petites histoires,si on peut appeler ça comme ça. Ce ne sont que des anecdotes en réalité, mais tu te dis que ce serait intéressant de visiter des quartiers dont elle t'a tant parlé, au lieu de rentrer dans ta maison qui ressemble plus à une prison à tes yeux désormais.

Tu marches à travers l'arche. Des yeux observent avec questionnement le long bec de ton masque à gaz, le bruit de la rue marchande de Deneb surpasse la musique dans tes oreilles. Tu fais au plus vite, d'une marche rapide affectée par tes jambes fatiguées. Tu détestes toutes ces pupilles qui te fixent, et tu as hâte de sortir d'ici, de ce quartier dans lequel tu continues d'habiter en souvenir de ta soeur. Ta bouche est teintée  de noir, et s'assèche. Perdue dans le brouhaha de tes pensées, tu ne te rends pas compte qu'à force de marcher pendant si longtemps, l'odeur commence à doucement changer, ainsi que le paysage. Sans t'en rendre compte, te voilà à Altaïr. Des habitations plus que questionnables à tes yeux, une propreté délaissée avec le temps, à peu près comme ta soeur te l'avait raconté. Cela te fascine, de découvrir un nouveau quartier comme cela, et tu es relaxée que les habitants ici ne te fixent pas comme à Deneb, juste à cause de ton masque.

Tu te balades un peu, et t'assieds au hasard dans un endroit qui semble avoir une vue intéressante à tes yeux, bien que ce ne soit qu'une décharge. Tu sors ton carnet de dessin et ton crayon, et commence à dessiner ce que tu vois. Les divers objets en face de toi réapparaissent petit à petit sur ton papier, et pour la première fois depuis ton arrivée dans ce quartier, tu remarques quelqu'un qui te regardes. En réalité tu n'en as aucune idée, mais c'en a tout l'air. Peut-être un peu trop à l'aise, tu te tournes vers elle, toujours ton masque sur le nez, et lui adresse la parole d'un ton relativement agressif.

" Qu'est ce que tu veux ? "

" C'est plutôt moi qui devrait te poser la question. T'es qui ? Qu'est-ce que tu fous ici ?

A travers les deux verres, tes yeux la fixaient. Tu étais agacée. Ta bouche couleur charbon en témoignait, et tu n'as que très peu envie de lui répondre. Mais si c'est pour qu'elle te laisse tranquille, pourquoi pas ? Toi qui commençait à te dire que comparé à Deneb, l'endroit avait l'air beaucoup plus vivable socialement parlant, en tout cas pour toi, cette idée commençait à disparaître. Tu as un peu peur, mais ton masque le cache. Ton coeur se resserre un peu alors que l'angoisse monte petit à petit. Ta bouche s'ouvre enfin.

" Je viens de Deneb, j'me balade. "

Tu voulais rester vague. Tu es loin d'avoir envie de raconter ta vie, ou même tes dessins à la première inconnue venue. En parlant de ceux-ci, ils te glissèrent des mains alors que tu venais à peine de terminer ta phrase. Si cela était possible, ton sang tournerait au plus profond des noirs. Le croquis à peine commencé de la décharge, maintenant dans ses mains. Un million de pensées te passent dans la tête.
" Rend le moi. Pourquoi tu me l'as pris ? C'est pas tes affaires. J'ai peur. Qu'est-ce que je fais ? Je le récupère moi-même ? Je veux pas qu'elle le gâche. "
Ton stress peut-être un peu haut pour la situation, te provoque des démangeaisons. Tes cicatrices te grattent. Tu essaies de soulager la gêne, alors que l'inconnue te répond, après ce qui te semblait être plusieurs minutes, alors que cela dépassait à peine les quelques secondes.

" Tu viens sérieusement ici pour dessiner ? Y'a meilleur paysage à l'arche que la décharge. Quel intérêt ? "

" Je trouve ça juste plus intéressant que ce que j'ai l'habitude de voir. "

Elle te rend le dessin. Le brouhaha résonant dans tes pensées se calme. Tes lèvres sont toujours teintée. Bien que tu sois calmée, les émotions restent. Pour le moment, tu n'es toujours pas à l'aise. Un de tes pansements s'est décollé sous ton pull. Tu ne saignes pas, tout va bien. Avec tout ça, ta respiration se retrouve gênée dans ton masque, provoquant un écho que tu peux trop bien entendre. Tu aimerais le retirer, tu te dis qu'il vaut mieux attendre. Elle s'assoit à côté de toi, et tu fais un petit mouvement de façon à t'éloigner d'à peine quelques centimètres. Tu n'es vraiment pas à l'aise.

" Pourquoi le masque ? "

Tiens, en parlant de celui-ci. L'idée qu'Altaïr serait meilleur que ton propre quartier te revient légèrement, après t'être raisonnée sur le fait que la réaction de l'inconnue n'était que par prévention. De plus, elle a l'air de s'intéresser à toi, n'est-ce pas ? Revenons au masque, reprends toi. C'est un souvenir, qui te tient à l'aise en public, en général, même. Il te protège de tous ces regards qu'on te lance à Deneb. Ces regards sur tes pansements, sur tes lèvres noires, sur tes yeux méfiants.

" C'est... j'suis juste plus à l'aise quand j'le porte. "

Tu penses aux pansements sur ton visage, à la couleur de ta bouche. Tu n'as pas envie de le montrer. Tu en as honte ? Peut-être. Ou alors, tu as peur de la réaction que cela peut provoquer. Tu ne sais pas, et tu n'as pas vraiment envie de savoir. Ton arrogance et ton aise sont bien vite redescendus, n'est-ce pas ? Tu n'es pas vraiment habituée à ce genre de réponse, tu es habituée à ce que l'on te laisse tranquille, plutôt. D'ailleurs, pourquoi est-elle venue te voir ? Qu'est-ce qu'elle est venue faire à la base ? Pourquoi ce serait à elle de poser les questions ?

" Et toi, qu'est-ce que tu fais là ? J'me doute que tu viens d'ici, mais pourquoi la décharge ? "

Ta voix tremblait un peu, tu espérais que cela ne s'entendait pas à travers l'écho de ton masque, sachant que tu voulais garder la face. Tu déglutis, et les démangeaisons reviennent. Cette fois-ci, tu ne te grattes pas. Elle a l'attention sur toi, tu préfères éviter. Tu la vois en train de parler, mais ton cerveau n'arrive pas à suivre. Les mots rentrent d'un côté puis ressortent de l'autre. Tu la regardes un peu, et sans t'en rendre compte tu penses à voix haute, la coupant dans sa phrase.

" J'aime bien tes cheveux. "

Tu paniques en te rendant compte que tu viens de la couper pour faire une remarque si inutile à la conversation. Tu te racles la gorge, et laisse échapper un " Désolée." à peine audible, à moitié par timidité, à moitié pour garder l'impression que tu ne te laisses pas marcher sur les pieds. Tu baisses le yeux et passe une main sous ton masque, le relevant à peine, pour te frotter le visage. Bien que tes lèvres noircies sont visibles pendant un instant, tu n'y portes pas attention, et le remets bien avant de faire de ton mieux pour suivre sa réponse, cette fois-ci.

Pas n'importe qui ? Ça semble être une sorte d'avertissement. À quel point pourrait elle te le faire payer si les choses dérapaient ? Enfin, de toute façon ce n'est pas comme si tu comptais l'attaquer, et même si tu le voulais, ton arme n'allait pas vraiment le permettre. Tu ne peux pas mentir en disant que tu as un peu peur d'elle. Elle t'intimide. Certes un peu moins depuis qu'elle a rit. Se moque t-elle de toi ? Ou est-ce juste ta remarque qui provoque cette réaction ? Tu ne sais pas, mais on est jamais trop sur ses gardes.

" Eh bah alors, toi t'es spéciale hein ! "

Spéciale ? Tu n'as aucune idée de comment prendre la remarque. Enfin, il est vrai que une rousse masquée qui vient dessiner dans une décharge est plus ou moins spécial. Mais bon. Son visage était un peu plus détendu. Ce n'est pas pour autant que tu vas te laisser faire avoir. C'est peut-être un piège. T'attendrir pour mieux t'avoir. Mais ça te fatigue d'être aussi méfiante. Bien que c'est elle qui t'a arraché le dessin des mains alors que tu passais du temps dans une décharge.

" Enfin, je disais donc.. Ouais, je suis venue me balader, me détendre. Tout comme toi, finalement, si tu dis vrai. "

" Pourquoi je mentirais là dessus ? Je rentre d'un repérage et j'me sentais pas de rentrer, c'est tout. "

Elle doute de toi. C'est ce que tu te dis, tout du moins. Et tu ne peux pas dire que ce n'est pas réciproque. Tu as peur, mais tu continues de le cacher. Le sang noir qui coule de tes plaies le prouvent. Elle se rapproche encore. Tu n'aimes pas être approchée d'une telle manière. Tu tournes la tête de l'autre côté, un contact visuel t'effraies, des gens arrivent à savoir comment tu te sens rien qu'à ton regard. Et tu détestes ça. C'est une sorte de don que certaines personnes ont, et ça t'emmerde, que les gens s'introduisent comme ça dans ta tête, tes pensées et ton humeur.

" Dis-moi, tu te permets de me complimenter, mais tu ne me donnes pas vraiment de manière à faire de même, avec ce masque. "

C'est normal, tu te sens vulnérable sans ton masque. Tu n'aimes pas qu'on te voit à ton naturel. Et bien que c'est vrai que tu aimes ses cheveux, tu ne sais pas si elle pense la même chose à propos de ta tignasse rousse emmêlée, et tu appréhendes sa réaction à ton visage cicatrisé noirci par ton propre sang séché.

" Tu veux bien l'enlever ? "

Elle te sourit, tu es déjà un peu plus à l'aise, mais ça ne change pas la couleur de ta bouche. De toute façon, quel est le pire qui puisse arriver si tu enlèves ton masque ? Qu'elle te fasse rechercher par des habitants d'Altaïr pour t'assassiner ? Non, tu nages en plein paranoïa, là. Tu te mets à regarder le sol, et tu relèves ton masque.

" Tu te moques pas, hein. "

Tu te frottes le visage, un pansement se décolle. D'un mouvement un peu maladroit tu essaies de le remettre le plus vite possible. Tu prends une grande inspiration et relèves la tête, avant de tourner ton regard vers elle. Tu lui tends la main, visiblement gênée, mais tu te présentes d'une voix légèrement tremblante. Ta confiance en toi descend dès lors que tu ne portes pas ton masque, et le rôle de dure à cuir que tu voulais tenir semble avoir disparu, pour avoir laissé la place à une adolescente apeurée.

" Moi, c'est Freja. "