atonement

L'éclat du soleil est une injure.
Mais l'appel de la bière était parfois trop fort, et un détour s'imposait, quand elle voulait boire autre part qu'au bar où son insupportable voisine égayait les soirées pour tous les miteux du quartier. Très peu pour elle, elle préfère le silence, le détour, quitte à trembler tout bas.
Le silence à Draconis, ils ne connaissent pas, et elle en regrette presque sa voisine.

Ignore, ignore, les chuchotements qui parlent de ces combats au champion trop familier, ignore, tu le savais qu'il était pas là, il ne veut pas te voir, prends ta bière, trace ton chemin, coupe tous les ponts. C'est encore ce que tu fais de mieux.
Elle sort d'une porte au fond, même pas assise sur les gradins, derrière les supporters enjaillés de cette cage ouverte.
Espèce de lâche.

L'adversaire est tenace ce soir, ils disent des absurdités, comme s'il allait perdre encore, elle se mord la lèvre, elle veut leur sommer de se taire. Une groupie scande son nom et des je t'aime sans profondeur, qu'elle se taise qu'ils se taisent tous, arrêtez de scander son nom come cela, comme s'il était à vous, comme s'il vous appartenait. Il est pas à vous, il sera jamais à vous. Il était à elle. Rien qu'à elle. Ils n'ont pas le droit. Elle n'aurait pas du venir. Tout l'insupporte, tout lui donne envie de crier. Elle ne veut pas voir cela, elle ne veut pas le voir lui, les phalanges éclatées à force de trop frapper, les bleus, l'odeur de ton sang encore qui envahit l'air et lui donne envie de vomir. Elle ne veut pas le voir et pourtant elle le regarde quand même. Elle regarde la vie nouvelle qu'il avait choisi à sa place.
Un coup mal placé à l'arcade et il titube ils crient offusqués, comme si c'était la fin. Gens de peu de foi qu'ils sont. Elle, couverte par les cris et les injures elle murmure.

▬ Défonce-le frérot.

Et dans la Providence, il gagne.
Quelque chose se dessine sur les lèvres de Mischa, entre le soulagement et l'admiration


▬ Désolée blondinette pas d'accès dans les vestiaires pour le public
▬ Ta copine c'est pas une brunette cheveux-mi longs là? Je l'ai vu se barrer avec un type.
▬ ...Et merde.

Elle hausse les épaules et passe alors qu'il détale. Ce genre de gars est toujours avec une brunette aux cheveux mi-longs.

▬ Hey.

Hey et c'est tout. Comme si on s'était vus hier, comme si on se verrai encore demain, comme si rien n'avait changé. Rien d'autre "hey" et elle ne sait pas trop quoi dire, ni si elle a le droit. Le droit de dire que le Alaric de Draconis, le champion de l'Arène, celui qui se blesse et détruit, aussi invaincu soit-il, elle ne l'aime pas. Que ça lui tord les tripes de le voir blessé quand elle pensait ne plus se soucier de rien, que ça la tue de le voir malheureux alors qu'elle prépare déjà une tombe à ton nom.

Elle pointe du menton ton arcade sourcilière qui continue de saigner.

▬ J'ai l'habitude de recoudre les cadavres, laisse voir.

Elle n'a pas de blâme à donner, pas de torts à partager, pas de larmes à faire couler, pas de regret à avoir pas de deuil à essayer de traverser. Elle attrape la trousse de secours posée là, dans cette salle sombre et un peu crasseuse, où des bandages encore usées couvrent les étagères et elle s'assoir à côté, elle passe la main sur son front pour constater les dégâts, essuie un peu de sang du bout des doigts. Elle ne sourit pas, mais ses traits sont doux, compatissants, pour une fois. Elle en a même oublier de trembler.

Elle n'est pas là pour te réparer, alors Mischa le fera.

atonement

  C'est vrai qu'il a l'air mal en point, Alaric. Pas à cause des bleus ou de ses cheveux emmêlés qui lui collent le front à cause du sang et de la sueur. C'est plutôt dans les traits, une fatigue indicible qui semble le poursuivre depuis des années. Elle peut le dire, elle la connaît aussi, cette fatigue de vivre, cette fatigue de ne plus croire, de ne pas oser regarder derrière et de ne plus savoir où on avance. Il avait meilleure mine à Alaric, ils avaient meilleures mines quand elle souriait à leur côté. Mais le point de non retour à déjà était franchi, et cet Alaric-là, cette Mischa-là, ils sont morts, déjà. Mais de tout ça, elle ne dira rien, et sourit simplement en sortant un coton.

▬  Tu as toujours une meilleur tête que moi après une cuite.

  Elle aurait pu simplement dire "que moi". Alcool ou pas, tous les jours se ressemblait, et l'état de son encéphale n'avait guerre d'influence sur la morosité de son être en ces après-midi qu'elle appelait encore "matins".
Elle ne le gratifie d'aucun de ses sarcasmes habituels, elle cherche à voir ses yeux (ah son œil désormais, il est vrai), rencontre une iris vide, et détourne le regard finalement, de ces yeux qui ont désappris à regarder.

Elle prépare l'alcool, se prête à désinfecter.

▬  Ça risque de faire mal.

Des mots si innocents et si lourds. Est-ce qu'il le sentais encore seulement, ce picotement sur son front (ce picotement au cœur), ou est-ce que de longs combats répétés en arène l'avaient rendus insensible ce genre de douleurs superficielles. Elle passe la compresse doucement plantée devant lui, se forçant à le voir sans le regarder.
Et elle ose dire ces mots.

▬  Est-ce que ça va.

Dans la bouche de n'importe que d'autre, ce ne sont que des mots mondains, des banalités qu'on dit pour effacer le silence, mais silence, Mischa, ne le brise pas si impunément. La légèreté de ses mots a le poids de cette sincérité qu'elle a arrêté d'offrir.

Est-ce que tu manges bien. Est-ce que tu ris parfois. Est-ce que tu aimes, tout ce monde qui fait maintenant ton quotidien, est-ce que tu dors la nuit, est-ce tu tournes la page.

Dis-moi, Alaric, est-ce que ça valait le coup de partir et nous détruire?

atonement

  Des semi-réponses évasives qui ne parviennent plus à satisfaire, à combler d'un minimum d'espoir et d'apaisement le gouffre qui a prit place dans sa vie depuis trop longtemps. Un haussement de sourcils attristé. Le mieux, elle l'a connu aussi. Le mieux c'était votre naïveté, votre optimisme, brisé par le sang, le deuil et la souffrance, brisé par tout ce qui fait l'air pur de l'extérieur si irrespirable pour Mischa. Et chaque seconde de plus passée ici est un suffoquement. Et elle ne sait plus quoi répondre quand on lui renvoie la réthorique. Non, elle ne va pas bien. Mais elle ne va pas mal non plus. Elle est là, entre deux inconnues, purgatoire vivant qui s'amuse sans convictions et qui s'ennuie d'une solitude qu'elle a finit par révérer.

Elle s'apprête à mentir d'un ça va, mais les mots refusent de sortir, alors elle esquive d'un hm-hm et on finit de nettoyer la plaie.
Et elle se demande si elle aussi est une plaie, une blessure semblable à celle qu'on s'efforce maladroitement de recoudre.

C'est pas très joli, mais c'est pas grand chose, au bout du compte.

  On faire taire le silence, comme s'il était devenu trop lourd, pendant qu'elle fait des jeux d'aiguilles amateurs. Et encore une fois la réponse se fait attendre, insoutenable.
Qu'est-ce qu'elle est venue faire ici. La bière, Draconis, peu importe.
Qu'est-ce qu'elle est venue faire ici.
Pourquoi elle a suivi les murmures, pourquoi elle a assisté à leur insipide affrontement, pourquoi elle s'inflige la présence de ceux qui l'ont laissée, n'ont pas juste à Altaïr, mais dans le nihilisme qui imprègne désormais chacune de ses pensées.
Ultimement, la réponse à cette question elle ne sait pas.

▬  Je sais pas.

Et c'est curieusement douloureux à admettre, après tout ce temps, qu'elle ne sait plus, ce qu'elle veut, où elle va, ce qu'elle fait. Qu'elle se laisse vivre et que ce n'est qu'une impulsion nostalgique qui a guidé ses pas. Qu'elle voulait peut-être juste le voir avant le jour inévitable où il crèvera.

Elle lâche son œuvre a inachevée, l'aiguille encore plantée, le fil ballant, elle laisse tomber sa tête lourdement sur son épaule, son visage est encore impassible mais quelque part, quelque chose, dans sa gorge, fait trembler la fin de sa phrase.

▬  ...Je sais pas.

Mais est-ce que je peux rester encore un peu là ?

atonement

  Souris, Mischa, c'est pas grave il a dit. Tout est pardonné, toutes ces choses qu'on ne saurait nommer mais qui doivent bien exister pour qu'on te refoule ainsi. Souris, Mischa, ton existence, on l'accepte, le temps d'une larme qu'on ne pleurera pas, d'une prière qu'on ne fera pas, d'une embrassade qu'on ne saurait pousser plus loin tant on a peur de voir tes mains trembler.

Elle apprécie le geste fraternel, réimmiscent d'une époque qui semble être révolue depuis des siècles et pourtant encore trop familière. Elle s'y sent presque à l'aise, dans ce réconfort miséricordieux, et au son d'un battement de cœur dont elle avait déjà oublié l'existence, lui vient ce sentiment d'en vouloir un peu plus, d'oser un peu plus, de chercher la pitié pour atteindre l'absolution.

▬  Tu te souviens de ce vieux tuyau rouillé que Jasper et toi vous aviez réparé avec du sparadrap dans ma piaule .

Sa voix est frêle. Elle se perd.

▬ Il fuit encore. Mais j'ai rien de mieux pour le réparer. L'appartement devient humide.

Elle ne sait plus qu'elle dit.

▬ Du coup.

Elle a retrouvé l'éclat de ses yeux de petite fille, celle qui faisait la moue et s'agrippait à la manche des plus âgés pour avoir une ration supplémentaire. Elle a retrouvé la détresse de son regard, elle veut s'arrêter de parler.

▬ J'ai froid la nuit.

Elle a fait tomber trop de barrières, et à trop se dévoiler on ne saura plus comment se protéger du silence.

▬ Vous deviez le réparer. Vous aviez promis.

Elle ne demandera pas pourquoi il est parti.
Elle demandera seulement qu'il revienne.
Et puis elle regrette, s'attrape le coude, détourne le regard, se rappelle de la distance q'elle a mis des années à construire.

▬ Laisse tomber en fait.

Parce que s'il revient il faudra encore pleurer quand il sera mort.