Mischa sa vie c'est des trous. Des trous de mémoire, de cette sœur encore endormie dont elle peine à se rappeler du son de la voix. Des trous dans le cimetière, on l'on met des choses dedans, des humains, il paraît mais pour toi c'est fini, c'est juste une tombe de plus à creuser, un cadavre mutiné à récupérer. Elle vit entourée de trous de balle, dont les existences même l'importunent constamment. Elle vit même dans un trou, si l'on souhaite considérer l'Arche ainsi. Et entre ses omoplates surtout, trône une faille béante qu'on ne sait plus trop comment reboucher à force.

  Elle ne sait plus exactement quand est-ce qu'il est apparu, ce grand noir qui absorbe chaque demi-sourire qu'elle aurait l'audace de prononcer autrement que dans un effort de narquoiserie. Elle se demande même à force s'il n'a pas toujours été là. Elle ne se souvient plus bien. Elle a oublié voyez-vous, elle refuse de vivre dans le passé, dans les souvenirs opaques des cris qu'on a poussé, de cette famille qui n'est plus, de ces amis qu'on a perdus, de ces espoirs qu'on a abandonnés. Et pourtant, presque inconsciemment, elle s'accroche. Elle ne croit plus à demain non plus, à leur gloire, à la vie normale, le retour enfin, à un futur tout simplement. Non, non rien de tout ça. Mischa est profondément ancrée dans le présent, dans le maintenant, dans cette milliseconde entre l'avant et l'après, et nulle part ailleurs.

Mischa ne vit plus, elle survit.

  Mischa est cynique et aigrie. Une remarque impertinente et moqueuse, qui s'accompagne d'une lueur presque innocente dans les yeux, on ne sait plus à force, si elle croit ce qu'elle dit ou si elle dit ce qu'elle croit. Elle raille et se moque de tout, des extravagances de Vega, des belles causes des Explorateurs, des ordres de Noé, d'elle-même surtout. Et quand elle ne se plait pas à déplaire, elle s'enfonce dans un silence pesant, le regard posé dans le vide à voir des fantômes invisibles, le visage fatiguée, dans une moue presque solennelle et nostalgique qu'on ne s'hasarderai pas à briser.

  Mischa on la prend pour une idiote. Un trop plein de spontanéité qui parle sans réfléchir, masqué d'un air blasé qui lui donne l'air encore plus con. Elle parle à tort et à travers et toujours à côté de ses basques. Elle ne veut pas réfléchir Mischa. Réfléchir cela ne sert à rien. Cela fait juste mal. Et peut-être bien que son idiotie fait mal, aux autres, parfois, mais elle n'a pas le temps, pas la force de s'occuper de ces choses-là.

Elle les enterrera tous.

  Vous étiez beaux. Tu étais belle, Mischa. Tout allez mal mais vous vivez, vous vous moquiez des autres qui reconstruisaient, s'acharnaient à retrouver un semblant de familiarité dans leur quartiers. Vous vivez dans les décombres et la poussière et vous en riiez, vous étiez libre, vous aviez du panache, vous étiez invincible. Et toi, comme tous les autres, tu vivais. Le passé ne voulait plus rien dire, ni ces parents de classe moyenne qui étaient pourtant si doux, ni cette petite sœur dont le visage de poupée somnolait Là-Haut. Tu riais quand Alaric te prenait sur ses épaules, tu rougissais quand Jasper t'ébouriffait les cheveux, tu étais une gamine, comme Valérian et les autres, une future exploratrice pleine espoir et prête à conquérir le monde, aveugle à tous dangers.

  Enfin, tu les as rejoint. Et tu étais belle Mischa. Avec ton sourire fier, le pétillement dans tes yeux verts, la confiance de ta posture, même entre les débris et les vers, tu étais belle. De belles années.

  Et ça déraille. Tu ne t'en souviens même plus très bien. Tes doigts qui foutent le camp, ton arme qui tombe par terre, un coup sur le crâne et tu étais dans les vapes presque du début à la fin. Tu étais la première à tomber et tu as eu l'audace de t'en sortir.
Tu es restée au lit beaucoup trop longtemps à cause de ton traumatisme crânien. Tu voulais plus sortir, tu voulais plus manger tu avais peur de dormir toute seule, tu te croyais guerrière, tu n'étais qu'une gamine. Si même le grandMinsu était tombé qu'elle arrogance tu avais eu, toi, de penser pouvoir survivre. Le monde était à l'envers et tes mains tremblaient rien qu'à l'idée de ressortir. Alors tu a enterrés vos morts, à la place, pour te faire pardonner.

Certains ont pleuré.
Et tu es restée là, sans rien dire, sans rien faire.
Leurs amitiés se sont dissoutes.
Et tu es restée là, sans rien dire, sans rien faire.
Ils sont tous partis.
Et tu es restée là, sans rien dire, sans rien faire.
Ils ont essayé de passer à autre chose.
Et tu es restée là, sans rien dire, sans rien faire.

Seule.
A enterrer leurs morts.
Et à leur promettre à tous en silence.
Que quand elle leur survivra parce que les meilleurs partent toujours en premier,
elle leur fera une belle tombe.

▬ Née en Afrique du Sud dans une famille chill, elle a une petite sœur encore en veille
▬ Vit la belle vie à Altaïr, pleine de courage et optimisme
▬ Devient exploratrice, première mission de rang S elle finit blessée, des gens meurent, d'autres finissent plus handicapés qu'elle.
▬ Elle perd son éclat et est prise de tremblements dès qu'elle sort de l'Arche, comme si son corps avait peur qu'elle perde encore connaissance et perde tout à son réveil pour la troisième fois (la première étant l'Eveil).
▬ Elle enterre les morts de leur expédition et continue à le faire jusqu'à aujourd'hui.